L’idée est née d’un regard. Lorsqu’un inconnu a dévisagé ma fille, Raphaëlle, porteuse de trisomie 21 […]. Alors, j’ai eu envie d’écrire sur nos vêtements, le message que nous avions à répondre ; afin, qu’à sa lecture la personne détourne son regard en comprenant ma réponse, assumée.
C’est comme cela que la créatrice de la marque de vêtements « Ouais et alors. » raconte la génèse de son entreprise. Ce récit illustre parfaitement que le rôle des vêtements à message, qu’il soit humoristique, militant ou même les deux, apporte un atout supplémentaire et bien particulier à l’habit. Dominique Michelena nous aide à décrypter celui-ci avec son regard psychanalytique.
Le tissu marque la frontière entre notre peau et le monde social, il est tout à la fois intériorisé et extériorisé. Il porte et supporte un message de soi aux autres, une image de soi assumée ou non, montrée à l’autre. Le corps, par définition, bouge et s’exprime. Il est par conséquent source d’interprétations et générateur de sens. Mais quels sens, au fond ?
Ce que l’autre perçoit de nous, est-ce la vérité ou ce que nous percevons comme étant la vérité ?
Nous ne sommes pas, en fait, notre corps en chair et en os. Ce que nous sommes, c’est ce que nous voyons et sentons de notre propre corps. Il n’y a donc pas de Moi pur, le Moi résulte toujours de l’interprétation personnelle et affective de ce que nous voyons de notre corps. Or, que voyons-nous en réalité de nous même ? Ce que nous percevons résulte de trois éléments fondamentaux :
- L’image mentale de nos ressentis corporels
- L’image spéculaire de ma silhouette dans le miroir
- L’image que nous percevons ou croyons percevoir dans le regard de l’autre.
L’habit veut dire, comme son nom l’indique, habiter, vivre dans, tandis que vêtement, du latin « velum » vient de voiler, cacher. Ce décryptage permet donc de se faire une représentation de celui ou celle qui, tour à tour, habite et cache ce qu’il est. Pour autant, les vêtements sont, par essence, qu’on le veuille ou non, porteurs de messages et, en tant que tels, leurs valeurs sociologiques démontrent une appartenance à un environnement, des valeurs, un ensemble de signifiants que l’on arbore comme un étendard, un drapeau sous lequel nous nous réfugions et qui dévoile notre identité ou plutôt ce que nous ressentons comme telle.
Dans le cas particulier du vêtement à message, tels ces t-shirts que l’on voit fleurir partout et porteurs d’inscriptions toutes plus explicites les unes que les autres, que disent-ils en réalités ? Parlent-ils de nous ou de celui qui nous regarde ? Que dit finalement cette jeune fille trisomique dont la mère, fatiguée des regards portés sur celle-ci lui a fait faire un t-shirt portant l’inscription « et alors ? ».
Le principe même de ce vêtement c’est d’afficher, d’annoncer la couleur, de transmettre soit une réalité objective, soit une réalité décalée. Cette transmission conscientisée, volontaire, c’est de manière directe la poursuite de soi-même, de l’image spéculaire du Moi à travers l’autre qui, du coup, n’est plus tout à fait autre ni tout à fait soi-même. C’est déposer une partie de ce Moi, soit comme une lutte contre ce que l’on est, soit comme un désir de reconnaissance.
Au bout du compte, faut-il laisser le vêtement parler à notre place ou est-il le vecteur nécessaire à l’ouverture d’une réflexion au cœur de la société ? En définitive, ce vêtement fait alors partie intégrante de notre apparence car ici porteur d’une puissante coloration affective.
Le message ainsi véhiculé porte au devant du sujet la face inversée du miroir qui a jadis délivré son identité à ses propres yeux. Ce stade décrit par Lacan qui renvoie au sujet sa propre image pourrait être considérée ici comme l’affirmation, l’acceptation de ce que le regard des autres veut lui renvoyer sans pour autant le nommer explicitement. Ce que fait le sujet ici, c’est s’approprier ce que l’autre ne peut nommer en face.
En portant ce message tel un étendard, il devient tout autant sa propriété, son identité et personne, dès lors, ne peut plus s’en emparer à sa place. En osant affirmer aux yeux de tous, ce que chacun perçoit de moi en silence, alors je renvoie à chacun sa propre limite.
À terme, nous sommes toujours possédés par le regard que les autres portent sur nous-mêmes, ce regard qui tour à tour nous reconnaît ou nous rejette mais qui de toute façon, influence l’image que nous nous faisons de nous-mêmes.
Or, c’est cette image portée ici par les mots imprimés sur le tissu qui donne au sujet la force d’exister et ne prend finalement sens que dans les yeux de celui qui regarde. C’est ce même regard qui structure en chacun d’entre nous ce sentiment profond d’être et construit finalement la constellation de nos affects.